avocat.
Le ministre de la Cohésion des territoires Richard Ferrand s'embourbe dans une affaire de conflit d'intérêts somme toute mineure. Mais l'heure est au pharisaïsme judiciaire...
La course à la moralisation des fonctions publiques électives est un petit jeu éminemment pervers. Eh oui par ce que s’y applique le fameux proverbe tropical : " Quand on veut monter au cocotier, il vaut mieux avoir le derrière propre."
Richard Ferrand en fait aujourd’hui l’amère expérience et se retrouve dans une drôle de nasse. Ce n’est pas le premier et il ne sera sûrement pas le dernier. Le problème est qu’à ce petit jeu tout le monde est perdant. Le nouveau pouvoir qui avait fait de la probité un de ses chevaux de bataille comme le montraient les inénarrables tweets du même Ferrand illustrant de façon caricaturale l’adage : « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ». Les médias distraits de leurs spasmes d’adoration macronien, obligés qu’ils sont de parler du sujet qui fâche. Et l’opinion publique, gavée de ce genre d’histoires, qui commence à rêver de piques avec des têtes au bout.
Sur la base des informations fournies par le Canard enchaîné, j’avais, non pas pris la défense de Richard Ferrand mais donné mon avis sur ce qui m’apparaissait une opération banale.
L’immobilier et le crédit facile, sont des moyens de gagner de l’argent sans beaucoup travailler, ce n’est pas une nouveauté. Le problème est que chaque jour amène de nouvelles informations qui se révèlent préoccupantes. Sur le plan politique et éthique d’abord pour un nouveau ministre grand donneur de leçons de morale, mais désormais sur le plan juridique aussi. Jusqu’au judiciaire où les positions du Parquet national financier (PNF) et du parquet de Brest enfermés dans le refus d’une enquête préliminaire, commencent à devenir intenables.
Explications. Un avocat aujourd’hui retraité pensant peut-être que ce statut lui permettait d’être relevé du secret professionnel, a fourni au Parisien quelques informations assez déplaisantes. Rappelons que la compagne de Richard Ferrand a acquis un bien immobilier par l’intermédiaire d’une société civile en obtenant un financement bancaire de 100 %. Et ce grâce à une promesse de location de ce bien signée avec les Mutuelles de Bretagne dirigées par le même Ferrand. Le bail prévoyant que le preneur (la mutuelle) effectuerait les travaux de rénovation pour un montant de 186 000 euros. Les loyers courants permettant probablement le remboursement de l’emprunt. Résultat la famille Ferrand serait devenue propriétaire d’un bien d’une valeur importante sans avoir dépensé directement un euro et sans prendre le moindre risque. Cela n’a rien a priori d’anormal, ni d’inhabituel chacun sait qu’en régime capitaliste, l’immobilier et le crédit sont les moyens de devenir riche sans trop se fatiguer. Jusque-là, je maintiens mon analyse précédente.
Malheureusement, avec l’interview de l’ancien bâtonnier, il y a un après qui pourrait faire changer d’avis. La promesse d’achat du bien immobilier en question, aurait initialement été signée par Richard Ferrand lui-même ! Et comportait une condition suspensive, non pas comme c’est habituel d’obtention d’un financement bancaire, mais de la signature d’un bail avec les Mutuelles de Bretagne ! C’est-à-dire que l’acheteur était celui chargé d’établir les besoins en locaux de la mutuelle. Effectivement, Richard Ferrand était idéalement placé pour savoir quel était le type de locaux dont avait besoin la structure qu’il dirigeait. Le terme à la mode de « conflit d’intérêts » trouve là une belle illustration. Il est probable que ladite promesse comportait également, ce qui est là aussi habituel, une clause de substitution permettant de la céder à sa compagne ou à la SCI constituée pour la circonstance. Et c’est à partir de là que quelques questions se bousculent et mériteraient réponses.
Tout d’abord, pourquoi les Mutuelles de Bretagne n’ont pas envisagé l’achat du local dont elles avaient besoin ? Était-ce leur intérêt de se contenter de louer, au lieu par une acquisition d’augmenter la valeur de leur patrimoine ? Ensuite, est-ce qu’en contrepartie des 186 000 € de rénovation, les Mutuelles ont bénéficié d’un différé ou d’un allègement de loyer ? Il faut en effet pouvoir établir le bilan coûts/avantages du contrat de bail pour vérifier son caractère équitable. Vérification qui mettrait Richard Ferrand à l’abri de l’accusation d’avoir privilégié ses intérêts personnels au détriment de ceux de son employeur. Parce que sa propre signature sur la promesse de vente l’y expose dangereusement.
Il y a aussi l’application de règles classiques en matière de convention passée entre des personnes morales et leurs dirigeants à titre personnel. En la circonstance, c’est l’article L.114-32 du code de la mutualité qui les organise. Il faut savoir si elles ont été respectées, en particulier si les commissaires aux comptes de la mutuelle ont été consultés sur cette opération, cette consultation étant obligatoire. À défaut, l’affaire prendrait un tour pénal caractérisé. Je ne peux pas penser que cette procédure n’ait pas été respectée ce qui aurait constitué une énorme imprudence. Dans ce cas-là, sous des dehors un peu acrobatiques et déplaisants, cette affaire ne devrait pas prospérer jusque devant un tribunal correctionnel.
Le problème c’est que le mal est fait et qu’il est absolument impératif de répondre rapidement à toutes les questions qui se posent. « La femme de César ne doit pas être soupçonnée. » C’est la raison pour laquelle ce refus obstiné du Parquet national financier (PNF) d’intervenir dès qu’un dossier touche de près ou de loin Emmanuel Macron, au contraire de l’incroyable célérité utilisée contre François Fillon est une mauvaise action. Comment démontrer encore, et sans état d’âme, la partialité de cette institution d’exception ? Le parquet de Brest n’est pas en reste, alors qu’une enquête préliminaire aurait permis de répondre clairement à toutes les questions et d’éteindre ainsi la polémique.
Le mal est fait. Qui est le prochain sur la liste ? Le venin de l’affaire Fillon avec l’absence de vergogne dans l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques et la confiscation de la présidentielle, va continuer à infuser longtemps.
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Faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais
Ferrand difficile à ferrer
LE MONDE | 01.06.2017 à 09h04 • Mis à jour le 01.06.2017 à 12h51 |
Par Jean-Baptiste Jacquin et Anne Michel
Affaire Ferrand : le parquet de Brest ouvre une enquête préliminaire
Le procureur précise avoir pris cette décision visant le ministre « après analyse des éléments complémentaires révélés par différents organes de presse ».
Le communiqué de presse du parquet de Brest est tombé peu après 8 heures, jeudi 1er juin. « Après analyse des éléments complémentaires susceptibles de mettre en cause M. Richard Ferrand (...) révélés par différents organes de presse (...), j’ai décidé de saisir ce jour la direction interrégionale de la police judiciaire de Rennes d’une enquête préliminaire », écrit Eric Mathais, le procureur de la République.
L’ouverture d’une enquête préliminaire ne présage en rien de la qualification pénale des faits explorés ni de la culpabilité de la personne visée. Il n’empêche, la mise en marche de la machine judiciaire huit jours après les premières révélations du Canard enchaîné du 24 mai sur les opérations mettant en cause le ministre de la cohésion des territoires tombe vraiment mal pour le gouvernement.
C’est en effet ce même jeudi 1er juin que François Bayrou, ministre de la justice, devait lancer publiquement le premier projet emblématique du quinquennat d’Emmanuel Macron, avec une conférence de presse sur le projet de loi « de moralisation de la vie publique ». Ce qui aurait pu être un contre-feu médiatique face à la montée de la pression sur Richard Ferrand risque de passer au second plan.
Le procureur de Brest avait initialement estimé, vendredi 26 mai, qu’il n’y avait pas matière à enquête judiciaire, « aucun des faits relatés » n’étant « susceptible de relever d’une ou plusieurs qualifications pénales ». Il a donc révisé son analyse, à la suite des nouvelles révélations du Parisien, lundi 29 mai, et du Monde, mardi 30 mai.
La ligne fixée par le premier ministre n’est pas franchie
M. Mathais explique, dans son communiqué, que « cette enquête aura pour but de recueillir tout élément permettant une analyse complète des faits et de rechercher si ceux-ci sont susceptibles ou non de constituer une infraction pénale en matière d’atteinte aux biens, de manquements au devoir de probité et aux règles spécifiques du code de la mutualité ».
Les faits concernent des opérations ou des contrats dont plusieurs proches du ministre ont bénéficié, avec les Mutuelles de Bretagne, alors qu’il en était le directeur général, de 1998 à 2012. En 2011, la compagne de M. Ferrand a notamment pu financer l’acquisition d’un bien immobilier privé, d’une valeur finale de 586 000 euros, grâce à la mise sur pied d’une société civile immobilière (SCI) créée pour l’occasion et aux loyers versés par les Mutuelles de Bretagne.
La ligne fixée par le premier ministre, Edouard Philippe, sur le plateau de France 2, mardi 30 mai, à savoir qu’un ministre mis en examen démissionne, n’est pas franchie. Officiellement, donc, la présence de M. Ferrand au gouvernement n’est pas remise en question. Sur LCI, jeudi à la mi-journée, le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, a estimé que l’ouverture de cette enquête préliminaire est « une bonne nouvelle ». « Cela va permettre de sortir du débat moral et de la lecture d’articles de la presse qui mettent en cause Richard et de laisser à celles et ceux qui en ont le pouvoir et la capacité d’instruire le dossier », a-t-il poursuivi. Mais le cas du ministre de la cohésion des territoires devient de plus en plus difficile à gérer politiquement, à dix jours d’un premier tour d’élections législatives capitales pour la suite du quinquennat.
« Un malaise perceptible »
Lors du conseil des ministres de mercredi, le président de la République, Emmanuel Macron, a appelé le gouvernement à la « solidarité », estimant aussi que la presse ne doit « pas devenir juge », a rapporté Christophe Castaner, le porte-parole du gouvernement. M. Castaner a néanmoins reconnu « un malaise perceptible ».
« Oui, je suis un homme honnête », a de son côté assuré sur France inter, mercredi, M. Ferrand. « Tout ce que j’ai fait dans ma vie professionnelle est légal, public, transparent » Le ministre, pilier de la majorité présidentielle et soutien de la première heure d’Emmanuel Macron, a exclu toute démission, expliquant qu’il « ne le [ferait] pas pour deux raisons : d’abord, j’ai ma conscience pour moi, je ne suis pas mis en cause par la justice de la République que je respecte profondément, et (...) je veux me consacrer aux priorités de mon ministère ».
L’affaire Ferrand vient affaiblir le discours du gouvernement sur le retour de la confiance des citoyens dans l’action publique. François Bayrou, dont l’alliance avec M. Macron pour l’élection présidentielle s’est faite sur un accord pour une loi de moralisation, va donc devoir sortir du silence qu’il a gardé depuis son entrée au gouvernement.