Mais faut-il pour autant donner raison au club de l’Horloge, où Alain Juppé siégeait naguère aux côtés d’un certain Henry de Lesquen, rêvant jadis de fusionner UDR, RPR et FN ? Aujourd’hui, dans l’esprit du maire de Béziers et de quelques autres, il est question de récupérer la frange nationale-bonapartiste des Républicains pour élargir le socle électoral du Front et enfin percer le plafond de verre. Pas évident. Deux secondes et demi après l’annonce de son élimination, François Fillon, bientôt suivi par les caciques LR, a appelé à voter Emmanuel Macron, non sans charger son fidèle allié Sens commun de tous les maux de la terre. Adieu veaux, vaches, cochons et couvées cathos ! Si « droite des valeurs » il y a à LR, il faut la chercher loin, peut-être du côté de Thierry Mariani et de quelques autres élus méridionaux excédés par la dérive centriste de leur parti, prétendent certains. A voir. L’acte de bravoure des Wauquiez et Mariani s’est borné à prôner l’abstention. En l’occurrence, son crypto-mélenchonisme économique a servi de repoussoir.
Admirateur de Patrick Buisson, le brillant essayiste François Bousquet fustige à raison « l’économisme » échevelé qui a fait capoter les campagnes de Fillon et Le Pen. Ordolibéral pour l’un, étatiste forcenée pour l’autre. Avec une grande absente : la France, à la fois dans ses grands desseins et ses petits tracas quotidiens, sur lesquels le Front national a longtemps fait son beurre. Comme l’expliquait Bousquet à nos confrères de TV Libertés, l’épouvantail du « banquier Rothschild » n’évoque pas grand-chose aux relégués de la France périphérique bien plus sensibles aux nuisances de leurs voisins « cas soces » vivant des aides sociales. Là-dessus, pas un mot des cadres frontistes, qui lorgnent le quart-monde. La doctrine Buisson consiste à fusionner électorats conservateur et populaire autour des questions morales et identitaires, comme Sarkozy y parvint en 2007 et dans une moindre mesure en 2012. Pour l’heure, le Front national ne s’y essaie pas, sauf peut-être dans quelques fiefs du Midi que ses maires gèrent tant bien que mal.
Pour résumer, deux grandes options stratégiques s’opposent au sein du Front. L’aile économiste, qui a longtemps tenu la barre, s’inspire des travaux de Jacques Sapir sur la fin de l’euro et le souverainisme. Entre les deux tours, l’économiste n’en démordait pas : « Marine Le Pen a fait une campagne de second tour relativement consensuelle dès le premier. Elle a perdu sur ses franges radicales. Cette stratégie risquée a failli buter sur la remontée de Mélenchon mais anticipait le duel avec Macron, ligne contre ligne sur l’économie. » Mais n’est pas Florian Philippot qui veut. Sans vouloir enfoncer le couteau dans la plaie sur le terrain de l’incompétence, force est d’admettre que le passif du FN et son image faussent l’affrontement. Bien que Marine Le Pen et Emmanuel Macron aient surjoué le clivage société ouverte vs. enracinement, multiculturalisme vs. républicanisme, libéralisme vs. dirigisme économique, nombre de souverainistes en accord avec le programme du Front ont préféré aller à la pêche. « Marine ne rêvait que du second tour contre le “petit trader” Macron », me confirme un conseiller de Marion Le Pen… mais la sauce n’a pas pris. Jusque chez les électeurs de Nicolas Dupont-Aignan, pourtant rallié entre les deux tours au prix d’un reniement sur l’euro. La stratégie ultra-économiste du FN mariniste a donc tout d’une impasse.
A l’appui de la stratégie Philippot, Jacques Sapir sort les cartes électorales qui « confortent Guilluy. Toutes les régions d’anciennes industries, en pleine crise industrielles, ont basculé en faveur de Marine Le Pen. Inversement, Macron a marché dans des villes moyennes très connectées au reste du monde, comme Blois, et sur le littoral Atlantique, qui emploient une main d’œuvre immigrée non-négligeable. » A la division de la France en deux suivant une ligne est-ouest, se superposent d’autres clivages culturels et géographiques. Ainsi l’échelon stratosphérique de Christophe Guilluy ne dit pas tout des fractures françaises, autant économiques que culturelles et identitaires.
Toute une frange des électeurs urbains d’En marche !, plus ou moins aisés et employés du secteur privé, n’ont rien contre l’enracinement et une dose de conservatisme moral. Mais la diabolisation pavlovienne du « banquier Macron » a paradoxalement servi le nouveau chef de l’Etat en rangeant Marine Le Pen du côté des perdants systématiques de la mondialisation. Au cours des débats de premier tour, Marine Le Pen n’a pu donner de définition positive de la France, là où Macron rivalisait d’optimisme, d’espérance et proclamait sa foi – certes naïve – dans le Progrès. Pour élargir sa base, encore faut-il prendre conscience qu’Hénin-Beaumont n’est pas la France. « Il faut parler aux urbains, faire monter une nouvelle génération qui tient un discours positif et audacieux », préconise un quadra ex-mégrétiste. En bref, plutôt que de rejouer Fort Chabrol, lancer un long travail de fond pour renouer avec ce que le néo-fasciste Giorgio Almirante appelait la « nostalgie de l’avenir ». « Dans le futur, le camp dit des « patriotes » se doit de porter une vision de la France de demain et non plus se contenter de pleurer celle qui a disparu », souhaite un élu frontiste de l’Ouest qui se dit « républicain et libéral ». En privé, ce cadre appelle son parti à une vaste autocritique : « le FN a parfois laissé la sensation d’un parti déconnecté, uniquement focalisé sur sa communication », réduisant la stratégie au marketing électoral. Le tout à l’image des tweets navrants de Jean Messiha, énarque d’origine égyptienne auto-enfermé dans son emploi victimaire de Taubira frontiste criant au racisme à la moindre critique.