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23 novembre 2016 3 23 /11 /novembre /2016 17:20

Fillon-nous à un homme constant

(Alain Nueil)
(Romancier et professeur de lettres agrégé.)

Il paraît que la constance n'attire pas les foules. Depuis dimanche, elle attire au moins la marée.

De toutes les qualités, la constance a le plus beau nom car la fermeté sonore des deux syllabes illustre parfaitement le sens du mot. Pour savoir si un homme est constant ou pas, il suffit d’observer ses relations avec les autres. Comme il est beau d’être constant en amitié et surtout en amour ! Il est certes agréable d’être volage, de courir d’épouse en épouse ou de maîtresse en maîtresse à pied, à cheval ou en scooter. Mais quand on a une fonction sociale importante, c’est plutôt inquiétant pour les autres. Le volage ne passera-t-il pas d’une idée à une autre, par exemple d’une haine des riches à une volonté d’enrichir les patrons, comme il passe de femme en femme ? J’avoue que je préfère la constance d’Ulysse se dirigeant pendant dix ans vers sa Pénélope malgré vents et marées, malgré de séduisantes magiciennes et des déesses hostiles.

Il est bon également d’être constant dans l’action. Fin novembre 1995, j’avais planifié avec mon épouse un week-end à Bruges, et nous avions placé nos trois enfants chez des cousins. Arrivés à la Gare du Nord, patatras, nous tombons sur une grande affiche annonçant une grève illimitée des cheminots. L’homme d’Etat qui voulait aligner leurs retraites sur celles des employés du privé tint bon pendant trois semaines mais finit par capituler. Je ne dis pas « baisser sa culotte », car les expressions vulgaires me semblent indignes du débat public. Dire « Casse-toi pauv’con » ou bien « pour le chômage, je n’ai pas eu de bol » révèle des natures irritables, fantasques, ou qui recherchent par la vulgarité des complicités basses. Pour moi, l’homme constant doit parler dans les circonstances officielles un beau français constant, un français qui ne prend pas les autres pour des imbéciles.

Ils allaient voter pour Churchill

En 2003, j’habitais Paris et j’étais professeur au Plessis-Robinson. Un ministre, je ne sais plus qui, a lancé une réforme des retraites. Aussitôt, arrêt général des bus et des métros. J’ai juré à mes élèves que je serais présent à tous mes cours, quitte à venir à pied, en stop ou à trottinette. J’ai été constant et j’ai effectivement assuré tous mes cours. Le ministre aussi a été constant, il a résisté aux grèves et a fait passer sa réforme. En 2010, un autre ministre (mais au fond, je me demande si ce n’était pas le même que la première fois) a engagé avec son président de la République une autre réforme qui consistait à déplacer l’âge de la retraite de 60 à 62 ans. Tonnerre sur Paris ! Pendant des mois et des mois, j’ai croisé dans la capitale d’imposants cortèges qui exigeaient l’abrogation de cette réforme au nom du « rêve général ». Un jour, près du Palais du Luxembourg, j’ai croisé un groupe de manifestants d’entre 20 et 25 ans, et je me suis mis en devoir de leur expliquer qu’ils se faisaient gruger par les vieux, parce que les deux ans de retraite supplémentaire si l’on restait à 60, c’est eux qui les paieraient. Le ministre et son président ont été constants et la réforme, difficile mais nécessaire pour l’équilibre financier, est passée.

Vous me direz : la constance, c’est magnifique, mais l’homme constant est rarement  charismatique, cette qualité produit certes des époux modèles et des hommes courageux, mais peu enthousiasmants. Je vous aurais dit jusqu’à dimanche : oui, vous avez raison, les hommes constants sont plutôt ennuyeux et ne soulèvent pas les foules. Mais, dimanche, j’ai assisté à un miracle. Je me trouvais en proche banlieue, dans la file d’attente d’une élection qui, si ma mémoire est bonne, concernait la droite et le centre. La foule était joyeuse, souriante, tous se parlaient. Je me disais : on n’est pas aussi gai quand on se prépare à voter pour X pour ne pas avoir Y ou pour Y pour chasser X. On est gai et fier quand on vote pour quelqu’un qu’on admire, par exemple pour un homme constant. Moi-même, je m’apprêtais à voter pour une sorte de Churchill qui promettait à la France du sang et des larmes, des réformes drastiques et courageuses. Les écailles me sont soudain tombées des yeux et j’ai compris qu’autour de moi, tous étaient fiers et joyeux parce qu’ils allaient voter pour Churchill. Mon intuition était juste, notre candidat l’emporta le soir-même grâce à un raz-de marée qui stupéfia tout le monde. Oscar Wilde a raison, il est important d’être constant.

 

 

 

Published by Un Sage